Politique et gueule de bois : l’intolérance en tête

La vague brune qui s’abat sur la France, avec 71 départements dans lequel le Front national arrive en tête, ne peut que nous interpeller. Pourtant nous sommes bien loin de la surprise. Cette gueule de bois, nous savions qu’elle arrivait. D’ailleurs nous parlions déjà d’électrochoc il y a quelques semaines lors des municipales, mais dès le lendemain la grande majorité des hommes et des femmes politiques avaient recommencé la même politique, utilisé la même langue de bois, repris leurs vieilles pratiques.

 

Le FN en tête, une surprise ?

Si nous sommes honnête il n’y a qu’une réponse possible : Non. Voilà un certain temps déjà que nous voyons ce score élevé du FN se profiler. Contrairement à ce qui s’est passé le 21 avril 2002, nous ne pouvons nous contenter de regarder ces résultats comme une erreur momentanée ou un coup de semonce. De même nous ne pouvons plus considérer le FN comme un parti réceptacle de l’énervement passager des électeurs ou faire l’erreur de considérer les électeurs du FN comme des sous-électeurs. Ainsi il faut sortir des stéréotypes que nous avons bien trop souvent lorsque nous pensons à l’électorat frontiste. Comme le montre l’analyse des électeurs clé du scrutin des européennes réalisé par l’IFOP, le FN arrive en tête dans toutes les tranches d’âge – sauf les plus de 65 ans, comme quoi ce n’est plus forcément la jeunesse qui emmerde le front national – et dans la plupart des catégorie socioprofessionnelles (bien que son soutien le plus fort reste au sein du vote ouvrier).

Sans parler de la crise et du clivage entre quelques territoires intégrés à la mondialisation et ceux qui en sont en exclus, sans parler des affaires multiples qui inondent nos journaux (Cahuzac, Balkany, Sarkozy et la dernière en date Bygmalion…) et nourrissent le sentiment que certains vivent au dessus des lois, quelles sont les raisons de ce passage d’un vote contestataire à un vote d’adhésion ?

 

Le nouveau discours du FN ou comment faire de la xénophobie quelque chose de positif

Il faut tout d’abord reconnaître le travail du FN pour se faire une beauté de « parti respectable » tout en laissant au tribun Jean-Marie Le Pen le soin de rassurer l’électorat le plus dur du FN par ses sorties xénophobes et outrancières. Les paroles de Marine Le Pen dimanche soir étaient une illustration parfaite du nouveau discours du FN. On y retrouve les fondements de la pensée du FN : la lutte pour la souveraineté, l’identité française et la France aux Français. Néanmoins ce discours est devenu plus politiquement correct ; ainsi la « France aux français » devient : la seule politique qui vaille est « la politique des français, pour les français, avec les français ». Un électeur modéré entendra dans cette phrase le refus de l’Europe, quand les plus radicaux retrouverons dans cette phrase le concept excluant de priorité nationale. Ce discours s’accompagne également de valeurs positives : le FN appelle les français à une « marche de la liberté ». Il n’est plus pour un repli national mais choisi de croire en la France (au contraire des partis du « renoncement »). Le FN se veut rassembleur et pour cela il cherche à incarner des valeurs positives et rassurantes dans une période économiquement et socialement difficile. Enfin, alors que les autres partis sont déboussolés, il porte une alternative claire fondée sur le repli identitaire, la primauté des valeurs chrétiennes et la restriction des libertés.

Ce discours a déjà les accents d’un discours présidentiel. Marine Le Pen remportant l’ensemble des ces paris électoraux se lance dans la bataille pour l’Elysée. Elle appelle ainsi les Français à l’unité, qu’ils aient voté FN, se soient abstenus ou aient combattus le FN. Après avoir réussi à imposer l’idée que le FN était le premier parti de France, elle semble bien décidée à le confirmer dans trois ans.

La construction de cette nouvelle image respectable est notamment facilitée par le choix de l’UMP de prôner une « droite décomplexée » en reprenant la majorité des thèmes (et des thèses) de prédilection du FN.

 

Les thématiques du FN au cœur de la vie politique française

Cela a été dit et redit : Nicolas Sarkozy n’a pas siphonné les voix du FN en reprenant ses thèses et ses mots. Au contraire en mettant en cœur du débat politique français l’insécurité, l’immigration et l’assistanat, il a légitimé la parole de l’extrême droite. Comment expliquer que le racisme est un délit quand un ministre est condamné pour propos racistes ? Comment parler la tolérance après les discours de Grenoble et de Dakar ? Comment faire comprendre que l’immigration est une chance après cinq années d’un ministère de l’identité nationale ? Le plus grave est sans doute qu’une partie importante des élus de droite ont continué à promouvoir une politique de droite extrême comme seule solution aux problèmes de la France (durcissement de la politique migratoire, restriction des libertés au nom de la sécurité, lutte contre l’avancée des droits…). D’ailleurs on a retrouvé les élus de l’UMP en bonne position dans les manifestations contre le mariage des couples homosexuels à coté de courants réactionnaires, intégristes, royalistes et fascistes.

Il faut également noter que malheureusement certains hommes politiques, dit de gauche, ne se sont pas illustrés par leur capacité à dénoncer cette dérive fascisante. Au contraire profitant du malaise d’une partie de la gauche sur les questions d’intégrations et de migrations, ils ont portés une parole publique stigmatisante notamment sur les populations Roms (le premier d’entre eux est maintenant notre Premier Ministre. Il est alors difficile d’incarner un « changement » !).

 

Un gouvernement élu avec des promesses de gauche mais qui gouverne à droite

Il est bien difficile de ne pas nourrir l’illusion d’un UMPS quand un gouvernement et des parlementaires élus sur un programme qui promettait le changement et qui portait des propositions de gauche (droit de vote des étrangers, réforme fiscale, arrêt des contrôles au faciès, réforme bancaire…) appliquent une politique clairement marquée à droite (austérités, baisse des cotisations sociales, créations de niche fiscale favorables aux grandes entreprises, etc.). Après avoir abandonné la bataille des idées, tout une partie du PS a également abandonné l’idée que faire de la politique pouvait changer les choses et se contente d’administrer le pays selon le principe de Margaret Tatcher « There is no alternative », c’est à dire, en se résignant au néolibéralisme conservateur ambiant. Ce manque de courage politique est certainement l’un des terreaux les plus fertiles pour le FN. Non seulement car il alimente l’idée que le politique ne peut rien mais surtout car il fait perdurer une politique économique qui a prouvé depuis 30 ans son inefficacité. Et ce n’est pas les promesses de notre premier ministre de faire baisser les impôts qui permettront d’enrailler la machine à perdre du PS (Une des question qui se posera d’ailleurs dans les mois/années à venir: combien de temps encore survivra cet astre mort?). Si ces baisses d’impôts permettront à certains de garder la tête hors de l’eau, cela n’empêchera pas la dégradation de leur qualité vie liée au démantèlement des services publiques, l’augmentation du coup de la vie, le développement des emplois précaires et peu rémunérés… Les quelques euros gagnés ne leur permettrons pas de se projeter dans l’avenir ou d’espérer que leur enfants vivent dans de meilleur condition qu’eux.Quand des élus se réclamant de gauche mènent une politique qui, loin de porter un projet de société, aggrave les inégalités il n’est pas étonnant que des électeurs désertent les urnes et que d’autres cherchent ailleurs cette promesse de vie meilleure.

Les politiques sont certes les premiers responsables de la banalisation du FN, du fossé grandissant entre électeurs et élus et de l’ incapacité des partis à présenter un projet de société qui parle aux électeurs, mais cela ne dédouane pas pour autant les médias de leurs responsabilités.

 

Des médias accros au FN

« Parler de moi en bien ou en mal, mais parler de moi », c’est un principe de base pour être connu. Pour le FN cela marche à tous les coups, surtout quand l’ensemble des médias on fait de la victoire du FN leur histoire du moment. Le FN c’est pratique ! On peut en écrire des pages facilement et cela se vend bien. Depuis les municipales la couverture médiatique des européennes s’est limitée dans de nombreux média à « le FN va-t-il gagner? » On ne parle pas de son programme. On ne parle pas d’Europe. On vend du suspens, de l’inquiétude et surtout l’idée que le FN est un parti fort. Que le FN ait sa place dans le débat médiatique et démocratique c’est normal. Mais évitons la prophétie auto-réalisatrice d’en faire la troisième voix et de s’alarmer après de ces bons score.

On retrouve également dans les médias une banalisation de la parole xénophobe sous-couvert de positions « editoriales ». Comment une radio peut-elle encore avoir des chroniqueurs tenant des propos tels que : « Seules les sociétés homogènes comme le Japon, ayant refusé de longue date limmigration de masse () échappent à cette violence de la rue. () Les grandes invasions daprès la chute de Rome sont désormais remplacées par des bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, dAfricains, qui dévalisent, violentent ou dépouillent. Une population française sidérée et prostrée crie sa fureur, mais celle-ci se perd dans le vide intersidéral des statistiques » (E.Zemmour, le 6 mai 2014 sur RTL). Quel intérêt de laisser du temps d’antenne à la bêtise la plus crasse réactionnaire et raciste ? Ce n’est un exemple parmi d’autres (même si c’est certainement l’un des pires). Mais quand, jour après jour, ce type de propos est considéré comme légitime, voire savant puisqu’elle vient d’ « experts », comment s’étonner qu’un parti reprenant ces idées paraisse lui aussi légitime.

 

Et maintenant?

Le résultat de ces élections nous dérange. Il nous montre à voir ce que nous préférons occulter, la déperdition de tout une partie de territoires et de personnes que la république laisse à l’abandon (à quand une véritable politique d’égalité des territoires?).

Il nous gêne aussi car il remet en question la stratégie du front républicain. Pour le combattre on ne peut plus se contenter de dire « ce parti se trouve en dehors de pacte républicain » .

Il nous déplaît car il oblige toute personne engagée en politique à se remettre en question et chaque parti à se demander comment aujourd’hui mener la bataille contre le projet du FN? Comment expliquer que nos solutions sont meilleures? Comment décortiquer l’imposture que constitue la parole FN? Il n’y a pas de solution miracle. Mais il est certain que c’est que petit à petit le FN gagne la bataille des idées et que ça nous ne pouvons l’accepter.

Commençons par ne plus admettre de la part d’une personne publique des propos stigmatisants, racistes, homophobes ou sexistes.

Astreignons nous à mettre sans cesse en cohérence notre projet politique et nos actes politiques.

Enfin le projet du FN est clair et solide. A nous de reconstruire un projet tout aussi solide, de nous battre pied à pied pour que les idées portées par les écologistes et la gauche sur la coopération, la solidarité, l’ouverture, l’Europe, le respect de chacun reviennent au cœur des discours. Pour cela nous devons travailler : travailler à montrer les incohérences du discours FN, travailler à rendre nos projets plus pédagogiques, travailler à lever les craintes que peut entrainer un projet défendant un changement de société.

Fini les rustines, il est plus que temps de changer de modèle !

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